En Afrique, les lendemains d'élections sont particulièrement redoutés. La République démocratique du Congo (RDC) n'échappe pas à la règle. L'année 2011 a été marquée par des élections entachées de nombreuses irrégularités, de suspicions de fraudes massives et de violences. L'opposant Etienne Tshisekedi conteste la réélection de Joseph Kabila et s'est auto-proclamé "président élu", plongeant le pays dans une crise politique profonde. L'incertitude plane donc sur l'année 2012. Nous avons demandé à Alphonse Maindo (1), professeur en sciences politiques à l'université de Kisangani, de nous éclairer sur l'année à venir
- Afrikarabia : Après des élections de novembre 2011 sous pression, les nombreux observateurs internationaux présents mettent en doute la crédibilité du scrutin et dénoncent le chaos logistique et les forts soupçons de fraude. Comment se présente l'année 2012 ?
- Alphonse Maindo : Cette année sera très difficile. Le président sort affaibli de ce scrutin. On est là aux antipodes de ce que devrait représenter une élection. Dans la conception moderne des élections : il s'agit d'une processus de légitimation des dirigeants politiques. Là, c'est tout le contraire : la personne élue est plus faible après le vote, qu'avant. Gouverner ne va donc pas être facile. Et Joseph Kabila ne pourra pas continuer de gouverner à coup de répression et à coup de matraque… on ne peut plus gouverner comme cela.
- Afrikarabia : Comment Joseph Kabila peut-il se sortir de cette situation ?
- Alphonse Maindo : Si le président Kabila veut acquérir une certaine légitimité et une certaine autorité, il sera obligé de composer avec l'opposition. Il n'a pas d'autre choix. Mais attention, il ne faudra pas faire dans demi-mesure. Il ne suffira pas de débaucher quelques membres de l'opposition comme sous Mobutu. Cela ne donnera pas de résultats. Pour moi, il faudrait que le prochain premier ministre soit issu de l'UDPS pour donner plus de poids et de légitimité au futur gouvernement pour les 5 années à venir.
- Afrikarabia : Comment l'UDPS peut-elle composer avec la majorité présidentielle et comment Tshisekedi pourrait devenir le Premier ministre d'un président dont il conteste l'élection ?
- Alphonse Maindo : Je pense en effet que cela sera très difficile. Mais je crois qu'Etienne Tshisekedi est assez intelligent et patriote pour pouvoir accepter de faire quelques concessions, obtenir la paix sociale et ne pas faire retomber la RDC dans le chaos et l'anarchie. Mais attention, cela dépendra aussi de la volonté de la Majorité présidentielle. Il ne faut pas oublier que dans le camp présidentiel, il y a des personnes radicales, qui ne veulent pas entendre parler de négociations ou de gouvernement d'union nationale. Ils prétendent tous avoir gagner les élections et ne veulent rien négocier. Mais on n'a pas d'autre choix. Il faut bien voir qu'à l'heure actuelle on ne peut plus savoir qui a vraiment gagné ces élections. Des bulletins de vote et des procès-verbaux ont été perdus, détruits ou falsifiés… le recomptage des voix est aujourd'hui impossible.
- Afrikarabia : Que peut faire l'opposition dans la situation actuelle ?
- Alphonse Maindo : Si l'UDPS veut jouer un rôle important sur la scène politique congolaise, elle doit changer de stratégie. Pour l'instant la stratégie d'Etienne Tshisekedi n'a pas donné de résultats. L'opposition ne doit plus faire dans le discours, mais doit montrer sa capacité à mobiliser la rue. Si Tshisekedi se contente juste de s'auto-proclamer président et de constituer son gouvernement, on sait ce que cela à donner sous Mobutu. Ce qu'il doit faire, avec ses amis, c'est mobiliser la rue congolaise pour rendre le pays difficile à gouverner… la politique c'est un rapport de force ! Il faut donc obliger Kabila à négocier pour faire une gestion partagée et consensuelle du pouvoir jusqu'en 2016. Il me paraît est impossible d'organiser de nouvelles élections crédibles et acceptées par tous d'ici cette date. Il faut donc trouver une solution intermédiaire. Il faut également que l'opposition s'appuie sur la diaspora. La diaspora doit faire pression. Au niveau des capitales occidentales, cette diaspora peut mobiliser et faire bouger les gouvernements occidentaux.
- Afrikarabia : L'année 2012 verra la tenue d'autres élections, notamment provinciales. Comment voyez-vous ce long électorale qui prendra fin en 2013 ?
- Alphonse Maindo : Si la CENI (la Commission électorale -ndlr-) ne change pas de méthode de travail et ne prend pas le courage de se remettre en cause pour mieux gérer le processus électoral, ces élections locales, provinciales et sénatoriales, risquent d'exacerber les tensions. On sait que la République démocratique du Congo est encore très fragile. Beaucoup d'armes circulent dans ce pays et il y a encore de nombreux groupes armés incontrôlés. Il y a de forts risques pour que l'on replonge dans le chaos et la guerre. Il faut à tout prix que nos dirigeants et nos élites politiques prennent conscience de ce risque. Il faut qu'il y ait un vrai sursaut national, sinon nous irons de crise en crise.
- Afrikarabia : D'autres risques menacent la RDC en 2012 ?
- Alphonse Maindo : Après la crise politique, la crise sociale et économique menace. Jusqu'à présent, si on regarde les indicateurs macro-économiques, le taux d'inflation reste "gérable", la monnaie ne s'est pas encore beaucoup dépréciée par rapport au dollar (1$ pour environ 900 francs congolais). Mais on est face à une situation très difficile pour le Congo. Ses principaux partenaires : les pays occidentaux, le FMI, la Banque mondiale, l'Union européenne, commencent à exprimer des doutes par rapport à la crédibilité de ces élections et à prendre leur distance. On peut craindre que le futur gouvernement congolais soit privé de moyens financiers. Il ne faut pas oublier que la RDC dépend pour moitié de ses ressources, des aides internationales. Si ces aides sont coupées, le nouveau gouvernement de Joseph Kabila va avoir beaucoup de mal à fonctionner dans les prochains mois.
- Afrikarabia : Et les Congolais dans tout ça ?
- Alphonse Maindo : Les Congolais sont les plus grands perdants de ces élections. Ils se sont déplacés en masse pour voter et visiblement leurs voix n'ont pas été entendues. Certains s'interrogent même de savoir si cela vaut encore la peine d'aller aux urnes. La démocratie en a pris un sérieux coup avec ces élections... même si je sais que le Congo n'est toujours pas démocratique. L'échec de ces élections va laisser des traces chez les Congolais.
Propos recueillis par Christophe RIGAUD
(1) Alphonse Maindo est l'auteur de "Des conflits locaux à la guerre régionale en Afrique centrale", Paris, L'Harmattan, 2007.
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